Rouler tout confort de la Seine au Bosphore ? Après avoir testé aux États-Unis en 1869 les « sleepings-cars » (wagons-couchettes) de George Pullman pour parfaire son cursus d’ingénieur, Georges Nagelmackers, fils de banquier belge, se rêve en « Mr Pullman bis ». Mais le projet est semé d’embûches : l’écartement des voies n’est pas uniforme – chacun des pays traversés a la main sur son réseau – et, en 1870, la France entre en guerre contre la Prusse. Après avoir raccroché les wagons d’un Paris-Vienne en 1872, Nagelmackers crée la Compagnie Internationale des wagons-lits (CIWL).
4 Octobre 1883, 19h : la foule se presse dans la gare de Starsbourg (actuelle gare de l’Est) pour le voyage inaugural de l' »Express d’Orient » à destination de Constantinople (Istanbul) et retour, en sept jours. Journalistes, VIP et diplomates vont de Paris à Bucarest, en passant par Munich et Budapest, prennent un autre train jusqu’en Bulgarie, puis empruntent un navire à vapeur pour arriver à Constantinople, via la mer Noire et le Bosphore. Le trajet devient direct en soixante-dix heures dès 1889. À l’arrêt durant la Première Guerre mondiale, l’Orient-Express évite ensuite les pays germaniques. Et quand l’archéologie est en vogue, des lignes complémentaires roulent jusqu’à Damas en Syrie et Bagdad en Irak.
Pour rivaliser avec les paquebots transatlantiques, outre un confort inédit (chauffage central, douches, coffre-fort…), le train de luxe célèbre l’Art nouveau et l’Art déco, avec l’ensemblier-décorateur René Prou, et les maîtres verriers Émile Gallé et René Lalique : parois lambrissées en loupe de bouleau, cuir de Cordoue et velours de Gênes, tablettes en marbre rouge, panneaux de verre décorés de bacchantes… Dans le wagon-restaurant, on dine de caviar et de champagne au son d’un orchestre tzigane, bercé par le ronron des roues. Se quoi « glisser à travers l’Europe illuminée tout en dormant d’un sommeil bienheureux », à l’abri de « portes laquées aux loquets de cuivre lourds », décrit l’écrivain Valéry Larbaud. Le voyage est parfois pimenté par une attaque façon western près de Constantinople, en 1891, d’une épidémie de choléra, en 1892, ou de la fuite rocambolesque d’une famille arménienne échappant aux persécutions turques, en 1896 – leur bébé, caché dans un tapis, deviendra un magnat du pétrole, et un client régulier !